Le déclenchement de la sixième guerre israélo-arabe (après celles de 1948, 1956, 1967, 1973 et 1982) donne lieu à des prises de parti émotionnelles qui dégagent davantage de chaleur que de lumière. Nous voudrions ici donner une série d'analyses, toutes à l'exception de deux d'entre elles, provenant de sources écrites et connues, afin de favoriser un jugement qui restera libre, mais informé.
C'est au début des années 1980 que le Hezbollah, bras armé du nouveau pouvoir islamiste iranien, invente l'attentat-suicide, puis la guérilla de harcèlement, face aux occupants français et américains à Beyrouth, puis face à l'armée israélienne.
Le retrait unilatéral des Israéliens du Liban en 2000 dans le cadre de la négociation que l'on espérait globale et finale avec l'Autorité palestinienne, est interprété par les forces islamistes de la région comme une défaite israélienne. Ce modèle du Hezbollah est discuté dans les rangs palestiniens à la veille de la négociation de Camp David de l'été 2000, et elle aboutit à la décision de Yasser Arafat de se retirer des négociations de paix avec Israël et d'y substituer la stratégie du harcèlement chère au Hezbollah. Ce tournant s'accompagne de la marginalisation des
«colombes» palestiniennes au profit d'une nouvelle organisation clandestine du Fatah, le Tanzim, et de son bras armé, les brigades al-Aqsa. La nouvelle orientation s'accompagne d'une pleine réconciliation avec le Hamas qui dispose d'un double soutien saoudien et irano-syrien.
L'affaire du cargo
Karin B nous renseigne sur la coalition que l'intifada des mosquées avait mise en place : ce bateau affrété par les services secrets iraniens devait livrer des armes au Hamas et aux brigades al-Aqsa à Gaza, puis finir sa distribution au Liban, au profit du Hezbollah. Le point le plus étonnant de l'affaire concernait l'Égypte : le cargo devait débarquer sa cargaison dans le canal de Suez et la confier à de petites embarcations qui tenteraient de forcer la surveillance israélienne. Une telle opération, avortée par l'interception du cargo par des commandos israéliens, impliquait l'Autorité palestinienne et l'État iranien, sous la bienveillante complicité des services secrets égyptiens. Peut-on transférer ce modèle sur la situation présente ? Deux facteurs ont changé : l'Égypte, qui craint comme la peste la contagion des élections palestiniennes favorables aux islamistes dans sa propre vie politique, a tenté de remettre en selle les modérés palestiniens d'Abou Mazen et de provoquer une réorientation modérée du gouvernement du Hamas.
Au moment où cette manoeuvre allait réussir, les extrémistes du Hamas ont organisé l'attaque contre Israël de manière à faire rebondir la crise. Seconde différence, moins évidente mais plus fondamentale encore dans l'équation : dans le débat interne qui traverse les élites iraniennes, les modérés du président Khatami, alliés ici au pragmatisme de l'ancien président Rafsandajani, avaient encore le dessus, à telle enseigne qu'ils demandèrent une commission d'enquêtes parlementaires au Majlis de Téhéran pour désavouer ceux qui avaient monté le coup du
Karin B. Aujourd'hui, les ultras ont repris le dessus et avouent le soutien qu'ils apportent à la tendance militaire du Hamas.
Les déclarations antisémites du président Ahmadinejad lui ont d'ailleurs valu les félicitations du chef égyptien de la confrérie des Frères musulmans. C'est l'orientation imposée par Ahmadinejad qui a imposé un renversement à 180 degrés de la politique iranienne : voici un an, le chef du Hezbollah, Hassan Nas rallah, saluait le gouvernement Jaafari à Bagdad, protégé par les Américains, refusait à l'aile dure de l'armée syrienne le concours de ses milices pour se maintenir au Liban ; mieux même, il acceptait de participer au gouvernement d'unité nationale que Rafic Hariri était en train de mettre en place.
Avec le tournant iranien, le Hezbollah change d'approche : il revient à la lutte armée sous forme de harcèlement d'Israël, il coordonne son offensive à celle du Hamas commandé depuis Damas par Khaled Meshaal (chef du Hamas en Syrie) en étroite corrélation avec cette même aile dure du régime syrien, à laquelle Nasrallah avait, voici un an, claqué la porte. Tirons donc les conclusions de cette première phase de la guerre : la main de Téhéran est partout dans cette crise qui est donc indissociable du double débat qui traverse la haute hiérarchie chiite, passage en force vers le nucléaire ou solidarité accrue avec les chiites d'Irak au risque d'une entente tacite avec Washington.
La résolution d'Ahmadinejad ne démontre pas à ce jour sa maîtrise de la stratégie ultime de Téhéran. Mais un échec militaire du Hezbollah signifierait non seulement la première défaite stratégique de ce mouvement depuis l'évacuation du Liban-Sud en l'an 2000, mais aussi un sérieux renfort pour l'axe pragmatique et modéré qui passe par le gouvernement national libanais, les réformateurs syriens groupés autour du président Bachar el-Assad et, enfin, de tous les opposants intérieurs iraniens. Ajoutons enfin qu'à Moscou, ceux qui souhaitent réimplanter l'influence russe dans la région ont partie liée à Bachar el-Assad et à Rafsandjani, ce qui explique la nouvelle mansuétude de Poutine à l'égard d'Israël. La peur serait-elle en train de changer de camp ?
Alexandre Adler
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