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02/10/2017

Les ennemis de la France se nourrissent de sa tolérance

Inutile de répéter ce qu’ont très clairement et très justement écrit Barbara Lefebvre dans Le Figaro et Jean-Paul Brighelli ici-même, même si à mon avis, cher Jean-Paul, vouloir combattre l’islamisation par la mixité sociale revient à essayer d’enrayer une épidémie en dispersant des malades contagieux dans la population saine.

Le combat contre l’islam politique est avant tout culturel. On peut même dire qu’il n’est que culturel, et que la volonté de défendre notre culture et nos vies y compris par l’emploi de la force légale n’est qu’un aspect, peut-être même un sous-produit, de ce combat culturel. Il est inutile de disposer d’un arsenal sécuritaire, qu’il soit policier, militaire ou juridique, si l’on n’a pas la force morale de s’en servir, ou si l’on s’interdit la lucidité de voir le réel tel qu’il est pour utiliser cet arsenal à bon escient.

L’islamisation et la délinquance des banlieues ne doivent surtout pas être confondues, malgré les liens qu’elles entretiennent. Les idéologues d’Arabie saoudite et du Qatar ne sont pas connus pour avoir grandi dans des ghettos urbains, non plus que Hani et Tariq Ramadan, ou Alija Izetbegović. Cependant, islamisation et délinquance des « quartiers difficiles » ont en commun la faiblesse coupable de la réponse que l’État leur apporte, et son ahurissante inefficacité. Nous allons y revenir.

L’un des ouvrages les plus utiles et les plus stimulants pour qui veut comprendre ce à quoi nous sommes confrontés, est un court mais magistral essai intitulé Fascination du djihad. Fureurs islamistes et défaite de la paix. Nous le devons au médiéviste Gabriel Martinez-Gros, spécialiste d’Al-Andalus et d’Ibn Khaldoun. Historien, il a parfaitement compris ce qui continue d’échapper à beaucoup de journalistes, diplomates, criminologues, ministre de l’Intérieur se prenant pour un psychiatre et autres élus complaisants, ou prétendus experts en déradicalisation.

Voici, entre autres, ce qu’écrit Gabriel Martinez-Gros : « Le désarmement idéologique des États renforce partout la dissidence armée ». Nous sommes face à « des formes de refus et de violence d’autant plus radicales qu’elles sont plus efficaces face à des populations majoritaires de plus en plus désarmées matériellement et psychologiquement », en raison de « la domination sans partage du discours non violent. Il n’est pas de recours à la force, si légitime qu’en semble la cause, qui ne suscite réticence. Il n’est pas de guerre qu’on ne déclare absurde, ou dont on accepte d’examiner les raisons. » Or, « le djihadisme rompt avec la morale des masses, et se revendique en élite de guerriers. »

Sans la rejeter a priori, il disqualifie après examen la thèse de « l’islamisation de la radicalité. » « La première préoccupation de ceux qui la soutiennent est en effet de disculper l’Islam, et surtout la religion musulmane, de toute implication dans la violence du djihadisme – ou plutôt du terrorisme, selon les mots que la réserve médiatique et politique impose le plus souvent. Ces événements, disent-ils, pourraient survenir n’importe où. C’est évidemment faux. […] Ce choix de l’Islam, effectué par des millions de militants dans le monde, n’est ni fortuit, ni superficiel. Tout étudiant en sciences humaines sait – ou devrait savoir – qu’il est impossible d’analyser un phénomène – ethnologique, sociologique, historique – hors des mots dans lesquels il se donne. Imagine-t-on d’analyser le nazisme comme on prétend aujourd’hui analyser le djihadisme, en détachant sa « base sociale » de son « propos idéologique » ? On en conclurait que les nazis furent des ouvriers malchanceux, des petits commerçants ruinés par la crise, des intellectuels au chômage, des ratés du système capitaliste… La guerre mondiale, la hiérarchie des races, l’extermination des juifs ? Simple habillage infantile d’une violence de déshérités… »

Et il dénonce l’aveuglement de « la gauche en particulier, qui ne veut voir que problèmes sociaux là où éclate l’évidence d’un choix politique. Le paradoxe veut que ce même consensus, et cette même gauche, s’alarment d’une extrême droite populiste, dont le programme ne comporte pourtant aucune des condamnations radicales des fondements de l’Occident – en particulier la souveraineté du peuple, l’abolition de l’esclavage et de la polygamie, ou l’égalité des sexes – que les djihadistes proclament très ouvertement. »

Hélas, les Etats « ne permettent en revanche à personne d’imaginer que les « barbares » de leurs banlieues sont autre chose que des civilisés potentiels, malheureux d’être privés des bénéfices de la civilisation. Un délinquant, surtout s’il est jeune, a dû manquer d’affection, d’école, de soin, de théâtre, d’art, de salle de sport…, de mille autres choses sans doute à condition qu’on les fasse précéder du verbe « manquer ». »

Le jeune délinquant, tout comme le djihadiste, sont ainsi avant tout considérés comme des victimes de la société. Leurs victimes à eux, en revanche, n’ayant pas choisi de faire sécession par rapport au reste du corps social, ne sont pas perçues comme des individus à part entière, mais comme « la société » elle-même, frappée uniquement en réponse à ses torts. Puisqu’elles respectent les règles communes, c’est qu’elles les acceptent, donc qu’elles font partie de la société, donc qu’elles portent une part de sa culpabilité collective, donc qu’il est légitime de s’en prendre à elles.

Dans un mélange écœurant de concurrence victimaire, de déterminisme social, de négation du libre-arbitre, et de mépris envers toutes les personnes qui réussissent malgré des origines ethniques, culturelles, géographiques ou sociales dites « défavorisées », cette attitude déresponsabilise les coupables, et désarme ceux qui voudraient les combattre.

Comme le montre très bien Fatiha Boudjahlat, l’odieuse campagne contre Leïla Slimani, par exemple, n’est qu’une tête supplémentaire de cette hydre.

L’Education nationale est coupable de la situation, mais elle n’est pas seule. Les établissements scolaires devraient être des sanctuaires, des havres de sécurité, de paix et de savoir, mais il est illusoire d’espérer que les élèves oublient lorsqu’ils s’y trouvent les leçons qu’ils apprennent en dehors.

Or, pour certains, l’impunité est l’une des plus importantes de ces leçons. Pire encore, quelle que soit la bonne volonté des enseignants, les élèves savent bien que la loi des juges est une autorité supérieure à celle de l’Educ’nat. Et bien qu’ils ne la respectent pas, les plus problématiques d’entre eux savent parfaitement l’utiliser à leur profit. Ils dédaignent leurs devoirs, mais connaissent très bien leurs droits.

Cette attitude destructrice, hélas, est encouragée par la justice des mineurs. Parfois involontairement, parfois de manière calculée, idéologique et militante, notamment par le Syndicat de la magistrature et ses affidés. Dans tous les cas, le constat est similaire : les rappels à la loi et autres mesures dites « éducatives » se succèdent sans être pris au sérieux par les jeunes délinquants. Ils les confortent même dans leur idée que l’autorité officielle n’a aucune crédibilité, ni pour les sanctionner, ni pour les protéger.

Celui qui voudrait vivre normalement, inséré dans la société, découvre bien vite que plus il la respectera, moins la loi le défendra. Mieux vaut donc qu’il se débrouille par lui-même et selon ses propres règles ! De son côté, celui qui fait le choix de la prédation au détriment d’autrui, constate sans cesse qu’il est très facile de violer la loi, et que les leçons de morale ne s’accompagnent que rarement de la volonté d’agir.

Une société qui refuse de se défendre, qui refuse de protéger ses propres membres et qui leur interdit de se protéger eux-mêmes, peut difficilement susciter l’envie d’adhésion !

A ce sujet, demandons-nous aussi quel message véhicule le dédain affiché par beaucoup de politiques, de journalistes et de magistrats envers les forces de l’ordre et les militaires, qui pourtant risquent leur vie pour les protéger…

Ajoutons qu’en les victimisant, la justice infantilise les jeunes délinquants, à tel point que le premier emprisonnement est souvent vécu comme un moment festif, le signe du passage à l’âge adulte. Il est d’ailleurs intéressant de constater que des groupes qui pourtant méprisent notre société continuent à rechercher ainsi sa confirmation que, enfin, quelqu’un est « un homme, un vrai ». Mais comment s’étonner qu’un adolescent que les juges traitent comme un enfant irresponsable préfère se tourner vers le recruteur djihadiste qui lui offre de rejoindre la cour des grands ?

Au passage, on voit l’importance d’un discours comme celui de Charlie Hebdo. Il y a le « même pas peur » infantile de l’après-Barcelone, qui en évitant de nommer l’ennemi pour ne froisser personne montre justement sa peur, et suscite dans les rangs djihadistes un mélange d’incrédulité et de dédain. Mais Charlie est tout autre. Ce qu’il dit à nos ennemis c’est : la violence ne vous rendra pas respectables. Nous prendrons au sérieux la menace que vous incarnez, mais nous ne vous prendrons pas au sérieux en tant qu’hommes. Discours évidemment insupportable pour les islamistes, et ô combien salutaire.

Charlie le dit à travers la Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes de Charb, Détruire le fascisme islamique de Zineb, ou tout simplement sa récente couverture « L’islam, religion de paix… éternelle » et le remarquable éditorial de Riss qui l’accompagne. « Le confort, c’est l’obsession de nos sociétés consuméristes » écrit Riss, confort aussi bien matériel qu’intellectuel. Il y a un peu plus de six siècles, Ibn Khaldoun ne décrivait pas autrement ceux qui sont condamnés à être la proie des marges violentes

Lâcheté ou compromission, les refus répétés de permettre les représentations de la pièce de théâtre issue de la Lettre aux escrocs de l’islamophobie  sont eux aussi délétères, et contribuent à donner de notre société une image terrible et méprisable. Voici un homme qui est mort pour avoir mené jusqu’au bout son combat pour nos valeurs, et nous n’avons même pas le courage de faire entendre son message posthume ! L’État islamique, au moins, ne traite pas ainsi ses martyrs…

Nous mobilisons bien des escadrons de gendarmes mobiles et des CRS pour sécuriser les déplacements de ministres, alors qu’ils n’ont pas une once du courage ni de la lucidité de Charb, et qu’ils délivrent des discours creux et des promesses auxquelles personne ne croit, alors que son propos, lui, est nécessaire. Nous pourrions bien mobiliser une fraction de nos forces de l’ordre pour sécuriser quelques théâtres… Je connais même des gendarmes et des policiers qui seraient fiers de le faire bénévolement ! Mais je digresse.

Réformer la justice des mineurs ne suffira pas à combattre l’islamisation de toute une frange de la jeunesse. Il faut aussi, entre autres, rendre possible la fierté d’appartenir à la communauté nationale et à la République, en cessant d’enseigner le mépris de la France et de l’Occident. Lutter intellectuellement contre les dogmes religieux et les influences politiques qui voudraient empêcher la critique des textes prônant le jihad, et donc de fait y préparent. Cesser de condamner aveuglément « la violence » sans jamais interroger ses buts, et offrir des débouchés positifs et valorisés à la soif d’action et d’héroïsme. Savoir que l’on n’affronte pas quelqu’un parce qu’il est « méchant », mais parce qu’il est dangereux. Accepter que l’on ne peut pas sauver les gens contre leur gré, que certains ici ou ailleurs choisissent librement d’être nos ennemis, et que nous devrons les combattre sans haine mais sans faiblesse. Oser affirmer, enfin, qu’il y a des principes sur lesquels nous ne transigerons pas, et des projets de société que nous n’accepterons pas, peu importe qu’ils tentent de s’imposer par la violence ou par des moyens légaux.

Comme l’écrit Karl Popper : « Si nous étendons la tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas disposés à défendre une société tolérante contre l’impact de l’intolérant, alors le tolérant sera détruit, et la tolérance avec lui. »

Une justice des mineurs qui comprendrait enfin que la sanction fait partie intégrante de l’éducation ne saurait être une réponse suffisante. Mais elle est une part nécessaire de la réponse.

Elle est indispensable pour montrer à notre jeunesse, et je dis bien notre, quelles que soient ses origines, que la France est crédible, et que nous saurons protéger ceux qui nous rejoignent, parce que nous aurons la détermination de combattre ceux qui nous menacent.

 

SOURCE www.causeur.fr

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