Dès le lendemain des massacres du 7 octobre un antisémitisme virulent s’est diffusé via les réseaux sociaux avec leur habituelle fulgurance haineuse. Ceux qui ont vécu et témoigné de la vague antijuive des années 2000 savent que si le support d’expression est nouveau, le phénomène est identique dans son intensité. La France de l’époque n’était simplement pas en mesure de le voir, de le dire, de l’assumer. Que retenir de ces vingt ans d’aveuglement ? Qu’il fallut passer par des séries d’attentats, des enfants assassinés parce que juifs, deux femmes massacrées (puis défenestrée pour Sarah Halimi, brûlée pour Mireille Knoll), l’assassinat barbare de deux enseignants. Notre société est-elle si profondément amorphe voire malade pour avoir « besoin » de tant de sang versé pour réagir ?
Depuis plusieurs années, on observe la translation de l’antisémitisme crasseux et complotiste de l’extrême droite vers l’extrême gauche, comme en témoigne la défense de Jean-Luc Mélenchon par le journal Rivarol fin octobre 2023. Dans la France de 2024, le RN défend les Juifs et entend lutter contre l’antisémitisme et l’antisionisme, quand LFI s’enfonce chaque jour davantage dans la boue des « points de détail » à la sauce gauchiste, comparant par exemple un président d’université à Adolf Eichmann.
Cette réalité est résumée par une salle d’université remplie de jeunes petits-bourgeois métropolitains que des conférenciers viennent chauffer contre l’État « colonial-apartheid-génocidaire et raciste » d’Israël, le tout emballé dans la novlangue intersectionnelle, code commun de reconnaissance idéologique. Un quiz historique et géographique aurait rapidement raison des certitudes de ce public, voire des conférenciers, mais ces défenseurs des opprimés se soumettent difficilement à l’évaluation des connaissances ou à l’épreuve du débat contradictoire. Ces jeunes étudiants ont obtenu leur baccalauréat dans la décennie écoulée, ils ont réalisé le parcours sans embûche à travers le collège unique puis le lycée. Ils y ont reçu un enseignement historique et littéraire qui devait, selon les dires de l’institution scolaire, forger une génération de citoyens éclairés, capables de penser par eux-mêmes en soumettant l’information à la raison critique, avec la mise en regard honnête des différentes versions. Le discours institutionnel imaginait que ces étudiants ne sombreraient pas dans l’idéologie à visée totalitaire qui modifie le régime de vérité en inversant des valeurs démocratiques universelles pour les retourner contre elles-mêmes. Des amphithéâtres se transforment pourtant en tribunes de l’ignorance historique, du négationnisme, du complotisme. Soirée chic des César, amphi Gaza de Sciences Po, même combat !
Comment ces jeunes militants peuvent-ils souscrire à l’idée qu’Israël commet un génocide à Gaza, à l’instar des nazis contre les Juifs d’Europe ? Comme ils ont étudié la différence entre démocratie et totalitarisme, n’ont-ils pas étudié en troisième puis en terminale les génocides du XXe siècle ?Le rajeunissement de l’antisémitisme mortifère n’est pas dû qu’aux enfants issus de l’immigration de culture islamique comme nous l’avions démontré en 2002 dans Les Territoires perdus de la République. Il s’exprime aussi chez une part minoritaire mais activiste de la jeunesse non musulmane qui a adopté les codes révolutionnaires de l’islamo-gauchisme, du NPA à certains courants d’EELV en passant évidemment par LFI devenue l’incarnation du frérisme à la française, rêvé par Tariq Ramadan. Le projet de cet antisémitisme déniant au peuple juif le droit à l’autodétermination nationale est de retourner de façon systématique, contre les Juifs et Israël, les accusations criminelles faites hier aux nazis. La nazification du Juif est le nouveau carburant de l’antisémitisme jadis obsédé par le complot juif antinational.
Comment ces jeunes militants peuvent-ils souscrire à l’idée qu’Israël commet un génocide à Gaza, à l’instar des nazis contre les Juifs d’Europe ? Comme ils ont étudié la différence entre démocratie et totalitarisme, n’ont-ils pas étudié en troisième puis en terminale les génocides du XXe siècle ; au moins deux d’entre eux : le génocide des Arméniens puis la Shoah ? Ne sont-ils pas ces élèves à qui on a tant parlé du « devoir de mémoire » ? Ils ont probablement entendu des témoignages de rescapés, certains ont visité Auschwitz-Birkenau. Dès les années 2000, à travers plusieurs écrits, j’alertais sur le caractère inopérant de la pédagogie mémorielle. En 2007 à travers un ouvrage (1), j’insistais sur l’importance d’enseigner l’histoire comparée des génocides pour combattre les nouvelles formes de relativisme et de négationnisme. La facilité de la pédagogie mémorielle centrée sur l’émotion relègue à l’arrière-plan la rigueur froide de l’analyse historienne. Pour de nombreuses générations d’élèves, les éléments politiques et historiques singuliers qui constituent un génocide ne sont pas connus. En utilisant des mots-clés et des images chocs, on peut donc leur faire croire que tel crime de guerre, tel conflit asymétrique s’apparentent à « un génocide en cours ». Il est temps d’en revenir à l’histoire, sur ce sujet comme sur tant d’autres.
Faute de culture historique, cette jeunesse militante et estudiantine est perméable aux mensonges politico-historiques. Elle est incapable de constater que la mort de 1 % de la population de l’enclave de Gaza ne peut s’apparenter aux taux de mortalité d’un génocide (60 % des Arméniens, 65 % des Juifs d’Europe, 77 % des Tutsis). Incapable de constater qu’il n’y a aucune planification génocidaire dans les opérations de Tsahal car, en dépit des manquements de ses dirigeants politiques et militaires, la démocratie israélienne n’a aucune volonté d’éliminer le peuple palestinien dont la croissance démographique n’a jamais ralenti depuis soixante-dix ans. Incapable de constater que la mort de civils est une constance des guerres modernes depuis 1914-1918. Incapables de voir que les civils gazaouis, après avoir élu le Hamas, sont les boucliers d’un régime totalitaire. Incapables de constater que les millions de dollars d’aide ont été détournés par ce dernier pour construire un réseau de tunnels afin d’y cacher, non pas leurs civils, mais leurs munitions, contrebandes et QG terroristes. Incapables de lire un livre d’histoire sur le nationalisme palestinien pour apprendre que dans les années 1920 il a été définitivement confisqué par l’islam frériste avec la figure du mufti de Jérusalem. De 1941 à 1945, financé par son allié Hitler, Al-Husseini diffusa depuis Berlin la propagande islamo-nazie dans le monde arabe.
Cette part tempétueuse et activiste de la jeunesse française et au-delà occidentale adhère à l’idéologie gaucho-frériste et pourrait demain se mettre au service d’alliances géostratégiques ennemies. Ne reproduisons pas les errements des décennies passées et agissons, dès l’école, dans les médias, sur les réseaux sociaux, pour instruire la jeunesse, pour punir ceux qui menacent la paix civile, pour corriger sans répit et avec rigueur les mensonges débités au kilomètre par les ennemis d’Israël, qui sont aussi ceux de la France.
(1) « Comprendre les génocides du XXe siècle. Comparer-enseigner », avec S. Ferhadjian (Éditions Bréal, 2007).
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