30/05/2007
Ce Darfour qui n'émeut guère les musulmans arabes
Qui, de nos oulémas sentencieux, de nos prédicateurs chevronnés, aura prêché courageusement, brandi un simple doigt accusateur ou, tout simplement appelé les fidèles, un vendredi, à prier pour les martyrs du Darfour ?
Quel Imam aura fait sienne cette injonction, divine, à affronter le mal, sinon avec le cœur, du moins avec la plume, au mieux avec le glaive ?
Quelle illustre autorité de L’Islam aura rédigé une fatwa contre les Janjawid, ces cavaliers de l’apocalypse qui jettent au feu les enfants du Darfour ?
Qui, donc ? Personne.
Ni colère, ni compassion pour le Darfour, nouvelle terre de la mort de l’Homme.
De l’homme noir, qui, visiblement, n'alarme ni les dirigeants, ni les peuples Arabes.
Est-ce l’appel au Jihad lancé par les islamistes de Khartoum contre les chrétiens, les animistes et les Musulmans dits dévoyés qui musèle les consciences Arabes et Musulmanes ?
Ces fillettes violées, ces mères égorgées, ces pères, ces hommes que l’on force à s’agenouiller pour leur tirer une balle dans la nuque, ces villageois que l’on enferme dans leurs cases pour les y brûler. Ceux-là, ces hommes-là, ne sont-ils pas assez bien pour notre dolorisme ?
Celui-là même, que, aussi professionnelles soient-elles, les Al Jazira et Al Arabia, savent tant travailler au corps.
Le Darfour, donc. Et, au-delà, tous ces massacres qui firent saigner l’Afrique, ne provoquant, chez nous, ni colère, ni détresse pour l’Autre, pose, aux Arabes, précisément, la question de l’Autre.
Serait-il possible que seul l’Irakien d’Abou Ghraïb, le Palestinien de Jénine, le prisonnier de Guantanamo ; que ceux-là, seuls, soit nos Autres ?
Est-il possible, qu’au terme d’une récente mutation psychologique, le cœur des Arabes se soit à ce point fermé, qu’il ne puisse reculer de quelques centimètres sur la carte du monde, et saigner pour un peuple autre ?
Les Arabes n’auraient-ils mal qu’à leur Proche, leur Moyen- Orient ?
Oui, mais lesquels ? Quels Arabes ?
Nous parlons de ceux qui peuplent la Rue Arabe, rue mouvante, avec ses affluents, ses faisceaux, faits de terre et de fibre optique, devenue donc cet espace sans doute plus imaginaire que géographique, espace d’une névrose plurielle puisant ses stimuli, son besoin d’ennemi, à Damas, à Alger, à Casa, à la Courneuve.
Nous parlons de ces Arabes, Musulmans de France et d’Italie, et ceux qui vivent en terre Arabe, sous l’oppression ; ceux qui endurent les exactions commises par leurs propres chefs, ces tribuns assassins.
Nous parlons toujours de ces Arabes, de ces Musulmans, qui trouvent dans une pulsion de mort, matière à faire naître un nouvel Arabe, un nouveau Musulman, nihiliste, qui, de la douleur, du drame de l’Autre, ne veut rien savoir, rien connaître.
Nous parlons de ces psychés au travail, de ces « territoires occupés de l’âme Arabo-musulmane », nous parlons, enfin, de cette « formidable capacité d’incapacité à l’Autre ». D’une inaptitude à une altérité pleine, entière, « irraciale ».
D’où, peut-être, que le Darfour soit le continent noir de cette âme, devenue entièrement indisponible.
Quel excellent exercice alors ce serait, - essayons, du moins ! que de rendre au Darfour le malheur qui lui appartient. Cet éprouvé Darfour. Quel travail, presque spirituel, oui, quel vrai Jihad ! ce serait pour nous, que de rencontrer l’Autre, par l’intermédiaire de sa souffrance, sans doute aussi, sinon plus terrible que la nôtre.
Mais, ici et maintenant.
Le Darfour, dont nous tardons, nous, à exhumer les cris, révèle, sans doute, la faillite éthique, compassionnelle, intellectuelle des Arabes. Dans l’instant, cet immense malheur noir ne nous émeut guère.
Alors ? Se souvenir, à chaque instant, que lorsqu'un milicien, tremblant de haine, se tenant debout, immense, raide, du haut de sa rage armée, hurlant des insultes racistes à un petit garçon de trois ans avant de l'abattre à bout portant ; se rappeler, que ce petit humain, que ces milliers d'Africains sont les nôtres, notre humanité, qu'on assassine.
Cela du moins, devrait être vécu ainsi.
Notre si légendaire humanisme en dépend.
Idriss Chraïbi, 8 décembre 2004 (texte original abrégé)
Mouvement des Maghrébins Laïques de France
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