02/07/2006
Les turcs font la loi...en France
Une exposition sur l'Arménie censurée à Valentigney
Sous la pression de représentants turcs, la mairie a décidé du supprimer cette exposition de photos. C'était l'une des attractions du festival Rythmes et Couleurs qui se déroule ce week-end.
MONTBELIARD. _ Sous le chapiteau où une trentaine de magnifiques photos noir et blanc sont suspendues, il fait une chaleur d'enfer. Dehors, une légère brise vient rafraîchir l'atmosphère. Mais pas les esprits. Dès l'ouverture, hier en début d'après-midi, de Rythmes et Couleurs, à Valentigney, l'ambiance a tourné au vinaigre. La cause : cette exposition, une des (nombreuses) animations du festival, réalisée par le photographe Antoine Agoudjan. Un artiste reconnu, qui présentait, à l'occasion de l'année de l'Arménie, un travail réalisé entre 1989 et 1999 dans ce pays.
Deux clichés ont eu le malheur de susciter la colère de représentants de la communauté turque, venus dès l'ouverture jeter un oeil sur l'exposition. Plus que les deux images, ce sont les légendes les accompagnant qui ont fait réagir. L'une d'entre elles évoquait « une ville habitée en majorité par des descendants des rescapés du génocide arménien de 1915, originaire de la région de Sassoun, actuellement en Turquie ». La seconde illustrait un rassemblement devant un mausolée : « Monument commémoratif du génocide perpétré par la Turquie en 1915 au cours duquel un million et demi d'Arméniens périrent ».
Mémoire vive
« Nous nous sentons insultés par cette exposition », s'indigne, tout en bloquant l'entrée au public, un homme se présentant simplement comme « un Turc ». « Le génocide arménien n'est pas une réalité ! Les morts, c'était à la fin d'une guerre très dure ».
Plus calme, un membre de l'Amicale des amis turcs et français de Valentigney -une association très active au sein du festival- estime que la communauté -forte de plus 6.000 personnes sur le Pays de Montbéliard- ne peut accepter d'« être montrée du doigt » : « Les historiens ne sont pas tous d'accord (NDLR : mais le parlement français a reconnu le génocide arménien de 1915) », affirme-t-il. « Nous sommes blessés ».
D'autant, dixit le président de l'Amicale, Cavit Simsek, qu'un accord, un « deal », était intervenu avant le festival. Invitée lors de deux réunions de préparation, l'association avait demandé que ni le génocide, ni rien s'y rattachant, ne soit évoqué au cours de l'expo. « A l'époque, nous n'avions vu que les planches contacts, sans les légendes », explique le directeur de la MJC, qui organisait, sous l'égide de la ville, cette exposition. « Elles ne semblaient pas aborder ce thème. Au-delà du problème technique d'un accord ou non, il y a de toute façon une question qui se pose : la pression était là depuis le départ ».
Liberté
La municipalité a en tous les cas tranché. Le 1er adjoint, puis le maire, ont décidé de fermer cette exposition, pourtant prévue sur les deux jours du festival. « Le deal passé entre la ville, la communauté turque et la MJC n'a pas été respecté. On a demandé à l'artiste d'enlever les deux légendes pour que l'expo puisse continuer. Il a refusé », souligne le 1er adjoint. « Moi, je fais avant tout un festival folklorique, je ne veux pas le gâcher ». Le maire, André Gerwig, justifie, pour sa part, une décision prise dans un « esprit de tolérance ».
Retranché sous le chapiteau surchauffé (avant le démontage en fin d'après-midi), le photographe parle, lui, clairement d'atteinte à la liberté d'expression. « Je n'ai eu connaissance d'aucun accord », explique-t-il. « Mon travail est de toute façon un travail d'auteur et je refuse d'enlever ces deux légendes ou des photos. C'est de la censure. Je comprends que la mairie ait peur du grabuge mais est-ce normal de céder à la pression ? ».
Lui-même petit-fils de rescapés du génocide arménien, Antoine Agoudjan revendique, comme tout artiste, la spécificité de son oeuvre, centrée autour de la mémoire. Jamais auparavant, sur cette exposition, qui tourne depuis 1999, il n'avait rencontré de problème. « Doit-on supprimer un travail artistique parce qu'il dérange ? » s'interrogeait-il. Bonne question. Surtout à l'heure d'un festival dont les maîtres-mots sont la paix, la fraternité et la tolérance.
Sophie DOUGNAC
© L'Est Républicain
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