08/07/2006
La France à la recherche de son identité
L’ivresse « multicolore » de 1998 avait bercé les Français d’illusions : huit ans plus tard, le scepticisme règne.
ON NE CONSTRUIT PAS du patriotisme sur du football. » Dans l’engouement passager, Alain Finkielkraut traque l’illusion d’une nation. « Les supporters de tous les pays se conduisent de la même manière, dit-il, alors que le patriotisme, c’est l’exaltation des spécificités culturelles. » En 1998 déjà, il doutait des vertus unificatrices du black, blanc, beur, né de la victoire en Coupe du monde. Aujourd’hui, le philosophe maintient ses réserves : « Il ne faut pas confondre l’idenfication à une équipe de foot et l’adhésion à une culture, à une langue, à des valeurs. » Et pourtant. « En 1998, on était content d’avoir une équipe de toutes les couleurs. C’était une belle image », se souvient David, 35 ans, consultant. Aussi douce que l’euphorie qui avait saisi le pays pour son premier titre mondial. « Tout était spontané. On avait l’impression qu’il n’y aurait plus de discriminations », ajoute Fatima, secrétaire. Puis, à l’automne 2001, quelques semaines après le 11 septembre, le fameux match France-Algérie au Stade de France, où une partie du public avait sifflé La Marseillaise puis envahi le terrain alors que les Bleus menaient au score, a provoqué une déchirure. « Black Blanc Beur n’a jamais dépassé le slogan. Dans la réalité, chacun vivait de son côté », analyse Ibrahim, livreur. Pis encore. « C’est un aveu d’échec », explique le sociologue Ahmed Boubekeur, en se référant à la marche des Beurs. « En 1998 : rien n’avait changé. Les hommes politiques découvraient la France métissée. » Depuis, la crise identitaire et sociale s’est aggravée. « On sait bien que le foot ne change rien à nos vies », reconnaît Kamel, 30 ans, animateur à Courbevoie. Néanmoins « On est content de regarder tous dans la même direction, au moins pendant une semaine. » « Zidane,Kabyle comme nous » Au Stade Charlety, mercredi dernier, des milliers de jeunes Blacks, Blancs, Beurs ont déferlé, vêtus de maillots bleus ou enroulés dans des drapeaux tricolores. Certains brandissaient leurs cartes d’identité pour crier « Allez la France ». Tous priaient pour la victoire. Mais quelques-uns disaient n’être venus que pour « Zidane, Kabyle comme nous », comme pour se justifier, tandis que des drapeaux algériens flottaient dans le stade, dont l’un dépassait par sa taille toutes les bannières tricolores. (Zidane, un kabyle symbole d'un peuple opprimé par la majorité arabe e qui reclame la reconnaissance de son identité. Zidane qui est un exemple d'integration en occident et de refus de l'"identité musulmane". NDR) A cette présence algérienne affichée, s’ajoutaient les bandes de jeunes Noirs, particulièrement nombreux dans le stade et sur les Champs-Élysées. « On est content d’admirer des Noirs à la télé, et qu’ils soient applaudis, avançait Sammy. Ça nous change. » Ces athlètes, et notamment Lilian Thuram, « représentent des modèles positifs », estime Marc Cheb Sun, rédacteur en chef de Respect.Un exemple nécessaire à l’heure où « l’intégration des Maghrébins est en cours tandis que se profile celle des enfants d’Africains ». Pour lui, la glorification de sportifs reste néanmoins une « mystification » : « Il suffit de regarder l’Assemblée nationale où il n’y a pas un seul Noir ». Demain, tous les supporters ne seront pas de la fête. « On va pas embrasser des Français qui nous détestent le reste de l’année », peste Abdoulaye, 18 ans, les cheveux déteints à l’eau oxygénée, des carrés scintillant à chaque oreille. A Lyon, la mairie a fini par retirer l’écran géant mercredi dernier, craignant les dérives, après qu’une bande eut enlevé un drapeau français devant l’hôtel de ville pour le remplacer par celui de l’Algérie. Dans la nuit de la victoire contre le Portugal, des bandes ont même dévalisé les automobilistes et sauté sur des voitures. « Les mêmes scènes que pendant les émeutes de novembre », raconte, amer, un Lyonnais qui croyait qu’une victoire des Bleus pouvait tout changer.
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