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09/04/2007

Diaspora chrétienne irakienne: que fait l'U.E?!

Enlèvements, tortures, meurtres… Les chrétiens d’Irak – 2,5% de la population – sont aussi victimes des violences interconfessionnelles qui endeuilllent chaque jour le pays. Seule solution : fuir les grandes villes, où leurs églises sont prises pour cibles, pour se réfugier au Kurdistan, ce Nord irakien comme épargné par la guerre civile.

Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, en avril 2003, plus de 3000 familles chrétiennes vivant dans les grandes métropoles – Bagdad, Bassora, Mossoul – ont trouvé refuge dans le nord du pays, au Kurdistan irakien.

Elles retournent dans les villes et les villages qu’elles avaient fuis il y a trente ans, chassées par les exactions des troupes irakiennes. Toutes font le même récit : l’ordre et la paix retrouvés après l’insécurité vécue dans le reste de l’Irak, la persécution par des islamistes, les attentats, les enlèvements…

C’est sans doute à Bassora que l’hémorragie est la plus grave : sur les quelque 2000 familles chrétiennes qui, en 2004, étaient installées dans la grande ville chiite du Sud, oé n’en reste plus qu’environ 400, selon Mgr Djibraïl Kassab, l’archevêque chaldéen de la métropole. Celles qui restent sont les plus pauvres. Les commerçants qui vendaient de l’alcool, généralement des chrétiens, ont été la cible privilégiée des islamistes. L’église syrienne catholique de la ville a été incendiée après les déclarations de Benoît XVI sur l’islam.

Appelons-la « le docteur M.E. » -- car bien que réfugiée au Kurdistan, cette femme médecin souhaite garder l’anonymat. Elle a terminé sa spécialisation à Bagdad qu’elle a fui en juillet. Nous l’avons rencontrée à Dohouk, dans le nord du Kurdistan d’Irak. « Les dernières semaines à Bagdad, j’étais forcée de mettre un tchador pour sortir, témoigne-t-elle. Les islamistes avaient rasé et battu deux étudiantes qui sortaient tête nue, et affiché leur photo partout sur le campus, avec cet avertissement : « Ne montrez pas vos cheveux, sinon nous vous raserons et vous tuerons… » On ne comprend pas qui fait tout cela. Des gens pénètrent dans nos bureaux la nuit, certainement avec la complicité d’employés. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Personne ne le sait. »

Récit terrifiant

Etre à la fois chrétien et médecin constituent une double menace, car les médecins ont la réputation d’être riches, et son la cible des kidnappeurs et des tueurs.

Le docteur M.A.Y., sœur du docteur M.E., a quitté Bassora après la chute de Saddam. Elle dirige aujourd’hui le département de gynécologie de Dohouk. Elle fait le récit terrifiant du sort réservé à ses collègues, chrétiens comme musulmans. « Le docteur Abdullah Hamid, chirurgien, vice-doyen de l’école de médecine, a été abattu sur le seuil de sa clinique par un gamin de 15 ans, se souvient-elle. Le docteur Jassem Fayçal, directeur d’un hôpital, a été assassiné. Puis ce fut le tour d’un dentiste, d’un urologue… Je suis partie en laissant tout derrière moi, ma maison, ma clinique. »

Toma Benyamin, un plombier quadragénaire, habitait avec sa femme, Faiza, et leurs six enfants, à Bagdagd Jeddida (littéralement : le nouveau Bagdad), un quartier dans l’est de la capitale irakienne où cohabitaient auparavant sunnites, chiites et chrétiens. « Des bandits ont essayé de kidnapper un de nos fils. D’autres, des Arabes – souligne-t-il –, ont menacé par téléphone d’enlever une de nos filles. Ils ont appelé quatre fois. Alors, nous avons décidé de fuir.

Toma et sa famille sont partis en février, emportant leurs meubles dans un camion. Ils ont trouvé refuge à Ain Kaoua, une agglomération exclusivement chrétienne à la périphérie d’Arbil, la « capitale » du Kurdistan irakien. Toma affirme qu’il ne reste plus que 300 familles chrétiennes sur les 35000 qui vivaient auparavant à Bagdad Jeddida.

Beharé, 28 ans, s’est lui réfugié dans le village kurde de Levo, près de Zakho, à proximité de la frontière turque. Il vivait autrefois dans l’un des quartiers les plus violents de Bagdad, Al-Dora, déchiré par les affrontements entre chiites et sunnites. « Nous n’en pouvions plus, explique Beharé. Chaque jour, il y a avait une ou plusieurs explosions de voitures piégées, on retrouvait des têtes coupées. Nous sommes partis après les meurtres de dix chrétiens qui vendaient de l’alcool. » Madeleine, sa tante, ajoute : « Ils en sont arrivés à tuer les gens d’après leur carte d’identité. »

Les chrétiens sont-ils victimes de l’anarchie générale qui règne en Irak ou sont-ils persécutés en tant que chrétiens ? L’évêque d’Amadia et d’Arbil, Mgr Raban, répond prudemment : « Les chrétiens sont les victimes les plus faciles car ils n’ont pas de milices pour les protéger. » Mais il ajoute : « Ils constituent aussi la cible numéro un des professionnels du kidnapping, des criminels libérés de prison aux derniers jours du régime de Saddam Hussein, et aussi des fanatiques qui procèdent à une véritable épuration religieuse. »

Mgr Raban a été lui-même l’objet de menaces téléphoniques répétées par des individus très bien renseignés sur ses activités.

La tension est montée d’un cran depuis l’été avec l’enlèvement de trois prêtres chaldéens catholiques, et surtout après celui d’un prêtre syrien orthodoxe, qui s’est terminé tragiquement.

Battu, brûlé, menacé

Le Père Raad Kashan a été le premier kidnappé alors qu’il circulait en taxi à Bagdad, le 15 juillet. Séquestré pendant quarante-huit heures, il a été battu, son dos et ses mains brûlés avec des cigarettes. On l’a relâché en lui disant : « Nous savons où tu vis… Si tu ne nous verses pas 200 000 dollars dans les deux jours, on reviendra te chercher. » Raad Kasha a été exfiltré d’urgence vers la Jordanie.

Le 15 août, c’était au tour du Père Saad Syrop Hanna, professeur au séminaire, de disparaître alors qu’il circulait dans la capitale au volant de sa voiture. Libéré trois semaines plus tard, en état de choc, il a dû être hospitalisé. Mi-septembre, le Père Bassel Yeldo, secrétaire du patriarche des chaldéens de Bagdad, Emmanuel III Delly, était séquestré pendant vingt-quatre heures.

Mais un nouveau pas dans l’escalade de la terreur a été franchi avec la disparition, le 9 octobre à Mossoul, du prêtre syrien orthodoxe Paulos Iskandar. L’enlèvement a été revendiqué par un groupe islamiste inconnu qui réclamait une rançon de 280 000 euros. Quatre jours plus tard, le corps décapité du prêtre était retrouvé à l’est de Mossoul. Il a été inhumé le lendemain, en présence de tous les évêques de la région. Ce drame a achevé de terrifier la population chrétienne, dont la fuite vers le nord s’accélère.

Cet exode est accueilli favorablement par les autorités religieuses et politiques du Kurdistan irakien. Des villages chrétiens, rasés dans les années 1960 et 1970, revivent. Les évêques locaux, qui se plaignaient de la « désertification » des églises, se réjouissent de l’afflux de ces nouveaux fidèles. « C’est le printemps de mon diocèse », confie l’évêque de Zakho, Mgr Petros al-Harboli.

Au nord, dabs cette région montagneuse qui s’étend autour de Zakho, Dohouk et Amadia, les zones d’habitation chrétiennes détruites sous Saddam Hussein sont reconstruites. L’initative en revient au gouvernement unifié du Kurdistan d’Irak [investi le 7 mai 2006] de Nechirvan Barzani – neveu du président Massoud Barzani. Les travaux sont supervisés par Sarkis Aghajan, le ministre de l’économie – un chrétien nestorien. L’édification de chaque maison de trois pièces coûte l’équivalent de 14 350 euros.

« Ici, il y a la paix »

C’est ainsi que le village de Sharanesh, près de la frontière turque, s’est repeuplé. Vingt nouvelles maisons ont été construites, et une cinquantaine d’autres sont en chantier. « Ici, il y a la paix. On peut rendre visite à nos voisins, et je pourrai aller à l’école », dit Nermin, 16 ans. Fuyant la violence de Bagdad, il est arrivé à Sharanesh, le 4 juillet, avec sa mère, Hanna, son père, Akram, installateur d’antennes de télévision, et ses trois frères et sœurs.

En attendant que leur maison soit achevée, ils campent chez des parents, déménageant tous les mois pour ne pas abuser de leur sollicitude. Financièrement, ils sont soutenus par des proches exilés aux Etats-Unis, et perçoivent une allocation mensuelle versée par le gouvernement kurde – quelque 100 000 dinars par foyer (environ 13€).

« Ici, on est tous parents, on est tous chrétiens », souligne Mgr Petros al-Harboli. L’église de Sharanesh n’a pas encore été reconstruite – « Et pour moi, c’est plus important qu’une maison », egrette Hanna.

Le retour de ces chrétiens ne se fait pas sans problèmes. Nazaht, 20 ans, enseignait l’anglais à Bagdad. Elle a trouvé refuge à Levo, d’où sa famille est originaire, mais regrette amèrement « la belle vie » dans la capitale. « C’était une ville de rêve, fit-elle. J’adorais faire du shopping, aller au restaurant, au théâtre avec mes amies. Si la situation redevient normale, je serai la première à y retourner. A pied s’il le faut ! »

Des terres occupées

Autre problème, plus grave, celui des terres. Dans certains villages, comme Pechkabour, Deir Aboun ou Karaoulla, les terrains abandonnés par les chrétiens ont été réoccupés après 1975 par des Arabes. Puis, après la guerre du Golfe de 1991, des tribus kurdes musulmanes s’y sont installées. Les chrétiens ne manifestaient alors aucune intention de revenir.

Aujourd’hui, le gouvernement tente de faire évacuer ces villages en proposant 10 000 dollars d’indemnités (près de 8 000 euros) à ceux qui acceptent de partir. Mais les Kurdes musulmans s’accrochent. C’est le cas à Pechkabour notamment, où la tribu des Miran dispose d’appuis importants au sein du régime (un des siens est membre du bureau politique du parti démocratique du Kurdistan, PDK, de Mssoud Barzani).

Au bord de la rivière Habour, le village de Karaoulla a été détruit en 1975 par l’armée irakienne. Aujourd’hui, il est réoccupé, et divisé en deux : d’un côté les Kurdes musulmans, de l’autre les Kurdes yesidis arrivés en 1992 [fidèles d’une secte d’origine zoroastrienne considérés par les musulmans comme des adorateurs du diable]. Le gouvernement d’Arbil a commencé en 2005 à construire une dizaine de maisons pour les chrétiens, et quelque 70 autres sont prévues. « Si nous ne récupérons pas nos terres, qu’allons-nous devenir ? », se lamente le mukhtar (le maire), Horniz Toma Moussa. Chaque jour arrivent à Karaoulla de nouveaux réfugiés, comme cette famille qui en est réduite à camper dans une pièce de l’ancienne casemate de la police irakienne, avec l’aude du frère du chef de famille, une certain Nicoals… installé à Sarcelles (Val-d’Oise !)

Si la vie dans ces villages satisfait les chrétiens d’un certain âge, elle pose problèmes aux plus jeunes. Aux étudiants, par exemple, qui ne sont pas capables de suivre des cours en kurde, la langue de rigueur dans la majorité des écoles de la région. Au quotidien, les réfugiés chrétiens communiquent difficilement avec leurs voisins. C’est encore plus vrai dans les zones rurales, où les Kurdes parlant l’arabe sont rares. Un certain nombre de jeunes chrétiens prennent le risque de rendtrer à Bagdad poursuivre leurs études.

Trouver un emploi est également problématique. Si les chrétiens spécialisés – médecins, ingénieurs ou techniciens – parviennent à travailler, ce n’est pas le cas de ceux qui survivaient à Bagdad grâce à des petits boulots – la majorité des réfugiés. Ceux-ci en sont réduits à une vie d’assistés, percevant les allocations du gouvernement kurde ou des mandats de parents émigrés à l’étranger. Rien qu’aux Etats-Unis, on recense 250 000 irakiens chrétiens dans le Michigan, 50 000 en Arizona, 30 000 en Californie.

Isolés linguistiquement, traumatisés par les persécutions dont ils ont été les témoins ou les victimes, les chrétiens réfugiés au Kurdistan d’Irak doivent aussi faire face à la propagande du mouvement nationaliste assyrien basé aux Etats-Unis [non uni à Rome, 250 000 personnes rien qu’en Amérique], qui tente de faire revivre le mythe de la nation assyrienne.

« Nous, les chrétiens, nous avons notre histoire, assène un réfugié du village d’Arraden, près d’Amadia. Il y a 2000 ans, il n’y avait pas de Kurdes ici. Nous, les chrétiens, étions 30 millions. Aujourd’hui, nous ne sommes pas 1 million. Où sont passés les autres ? Les Kurdes prétendent que la terre leur appartient, leur nombre augmente sans cesse ». Et de conclure : « Les chrétiens n’ont pas d’avenir en Irak, même les enfants vous le diront. Aujourd’hui, les chefs kurdes construisent des maisons pour nous, pour donner une bonne image d’eux-mêmes. Mais l’extrémisme viendra, insidieusement, comme à Bassora. On ne peut pas contrôler l’influence des extrémistes, on ne peut pas l’arrêter. On ne peut pas changer l’islam : un jour, ils vous appellent mon frère, le lendemain, ils vous tuent. »

Une politique pro-chrétienne

Le plus étonnant, c’est que le réfugié chrétien qui prononce cette diatribe le fait dans une maison offerte par le gouvernement kurde. Celui-ci fournit aux nouveaux venus une aide bien plus important que celle qui est proposée aux réfugiés musulmans. Ainsi, les quelque 1500 familles kurdes musulmanes chassées de Mossoul par les violences intercommunautaires ne bénéficient d’aucun programme public de relogement.

Interrogé sur cette politique résolument pro-chrétienne, Mgr Petros al-Harboli, l’évêque de Zakho, estime qu’il ne faut pas écarter d’éventuelles pressions sur le gouvernement d’Arbil de la part de dirigeants protestants américains et de la diaspora kurde aux Etats-Unis. Leur objectif ? Installer au Kurdistan d’Irak une population hostile à la propagande des mouvements islamistes.

Une autre explication peut être avancée. Si les réfugiés chrétiens sont les bienvenus, c’est, dit-on, parce que cette communauté compte en son sein de nombreux médecins, ingénieurs, techniciens…. Un élite qui fait défaut au Kurdistan. L’accueil réservé aux chrétiens permettrait également de couper court à la propagande du mouvement nationaliste assyrien.

Avec une pointe d’humour, un responsable local conclut que les chefs kurdes ne peuvent tirer que des avantages de la présence d’une minorité… qui n’est pas susceptible de fomenter un coup d’Etat.

Sous Saddam Hussein, un devoir de loyauté

Aujourd’hui, seuls quelque milliers de chrétiens restent à Bagdad. « Pour eux, l’exil est préférable à la peur », notait en septembre 2006 Mgr Jean Benjamin Sleiman, archevêque de Bagdad (auteur de Dans le piège irakien, éd. Presses de la Renaissance). Certes, l’exode a débuté bien avant le renversement de Saddam Hussein : un tiers des chrétiens irakiens ont quitté leur pays depuis 1980. Mais à Noël 2002, les cinquante églises de Bagdad étaient encore très fréquentées. Comme l’étaient celles de Mossoul et de Kirkouk, qui comptent parmi les plus vieilles villes chrétiennes du monde. Les chrétiens ont occupé une place particulière sous l’ancien régime. Saddam Hussein, musulman (sunnite), veillait à les préserver dans une société en voie d’islamisation, voire à s’assurer de leur soutien. Dans les années 1990, les chrétiens sont nombreux, par exemple, dans les rangs du parti Baas ou dans ceux des unités d’élite (garde républicaine, garde présidentielle), réputées fidèles au ducatateur. Personnage-clé de l’Etat, le vice-premier ministre Tareq Aziz est lui-même chaldéen. Le Syrien Michel Aflaq (1910-1989), l’un des deux fondateurs du parti Baas, était chrétien. Les églises d’Irak, jouissant de certains privilèges (exemptions fiscales, construction d’écoles, restauration de couvents…), se sont gardées de critiquer le pouvoir. Nombre de leurs fidèles considéraient Saddam Hussein comme un rempart contre l’intégrisme. Cette proximité avec l’ancien régime contribue depuis à alimenter les rancoeurs.

Article publié dans Le Monde 2, supplément distribué avec Le Monde du samedi 28 octobre 2006.

COMMENTAIRE: A L'HEURE ACTUELLE LES SURVIVANTS DU MASSACRE SE TASSENT COMME DES BETES DU COTE D'ISTANBUL PENDANT QUE L'U.E. LEUR CLAQUE LA PORTE A LA FIGURE. UN SCANDALE HUMANITAIRE DONT TOUT LE MONDE SE FOUT!

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