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05/02/2008

Occident-islam: le suicide de la raison

Source : Blind Faiths, Traduction de l’article Blind Faiths, par Ayaan Hirsi Ali dans le New Yorks Times du 6 janvier 2008.

Lee Harris soutient que le fanatisme est le principe fondamental de l’Islam et que la vénération des occidentaux pour la raison en fait des proies faciles pour un prédateur sans pitié, malhonnête et agressif. Il anticipe la destruction de l’Occident par un lent « suicide » culturel. Il y a un côté urgent à son message qui cherche à confronter l’échec des leaders occidentaux à comprendre qu’ils sont en guerre contre un ennemi qui lutte selon la loi de la jungle. Ayaan Hirsi Ali n’est pas aussi pessimiste.

Plusieurs auteurs ont publié des livres sur la menace de l’Islam radical en Occident depuis cet infâme matin de septembre il y a six ans. Avec « The Suicide of Reason, » Lee Harris rejoint leurs rangs. Mais il se distingue en allant plus loin que la plupart de ses collègues : il considère la pire des possibilités — la destruction de l’Occident par l’Islam radical. Il y a un coté urgent à son écriture, un désir de secouer les dirigeants de l’Occident pour les réveiller, les mettre en face de leur échec à comprendre qu’ils sont en guerre avec un adversaire qui lutte selon la loi de la jungle.
Harris, l’auteur de « Civilization and Its Enemies : The Next Stage of History », consacre la plus grande partie de son livre à identifier et distinguer deux sortes de fanatisme. Le premier est le fanatisme islamique, un ennemi formidable dans la lutte pour la survivance culturelle. Selon Harris, ce fanatisme agit comme un « mécanisme de défense », en protégeant l’Islam des pressions d’un monde changeant et en lui permettant de se développer dans des territoires et des cultures où il était auparavant inconnu. Avec peu d’exceptions, Harris voit l’expansion Islamique comme permanente. Bien que ce point soit discutable, il essaie courageusement de démontrer que l’entrée de l’Islam dans une autre culture produit des changements à chaque niveau, de la politique à l’individu : « Partout où l’Islam s’est répandu, il y a eu une transformation totale et révolutionnaire dans la culture de ceux qui ont été conquis ou convertis. »

En décrivant la nature impérialiste de l’Islam, Harris suggère qu’il est différent des empires romains, britanniques et français. Il voit l’impérialisme Islamique comme une expansion résolue de la religion elle-même ; l’empire que l’Islam envisage est gouverné par Allah. Dans ce sens, l’idée de djihad est moins celle d’une lutte intérieure pour la paix et la justice mais plutôt une grande mission de conversion. On doit dire, pourtant que l’argument d’Harris est incomplet, puisqu’il n’adresse pas la propagation de Christianisme dans les empires romains, britanniques et français.

L’expansion de l’Islam est peut-être plus puissante que l’expansion des empires chrétiens (y compris Rome après Constantinople) parce que le concept de séparer le sacré du profane n’a jamais été acceptable dans l’Islam de la façon dont il l’a l’été dans le Christianisme. Les Romains, les Britanniques et les Français sont partis annexer de grandes parties du monde pour obtenir des gains terrestres ou matériels plutôt que pour la dominance spirituelle. Sous ces empires, on a permis au clergé de propager sa foi aussi longtemps qu’il n’a pas compromis les intérêts impériaux.

Harris continue en soutenant que le monde Musulman, puisqu’il est gouverné par la loi de la jungle, rend la survie du groupe fondamentale. Cela explique partiellement la volonté des Musulmans à devenir des martyrs pour le bien de la grande communauté, l’umma — des gens unis malgré les limites géographiques, les différences de cultures, d’héritages et de langues. Selon Harris, ce sens de la solidarité ne peut durer qu’avec l’arme du fanatisme, qui contraint chaque membre de l’umma à convertir les infidèles et menacer de mort ceux qui essaient quitter la religion. Ainsi, le but de la culture Musulmane, si différent de celui de l’Occident, est autant de préserver que de convertir et c’est ce qui lui permet de s’étendre à travers le globe.

Le deuxième fanatisme que Harris identifie est celui qui contamine les sociétés Occidentales ; il l’appelle le « fanatisme de la Raison ». La raison, dit-il, peut être fatale parce qu’elle aveugle les dirigeants Occidentaux quant à la vraie nature des cultures influencées par l’Islam. Les Occidentaux voient ces cultures simplement comme de différentes versions du monde qu’ils connaissent, avec des valeurs dominantes semblables à celles épousées par leur propre culture. Mais ceci, selon Harris, est une faute fatale. Cela implique que l’Occident se trompe dans son appréciation aussi bien de son histoire que de la vraie nature de son ennemi.

Cette erreur d’appréciation, nous dit Harris, n’est pas liée à une perspective politique particulière. Les libéraux et les conservateurs partagent pareillement cette misperception. Noam Chomsky et Paul Wolfowitz étaient d’accord, Harris écrit, quand ils disaient « on ne peut pas vraiment blâmer les terroristes, puisqu’ils sont simplement les victimes d’un mauvais système — pour Chomsky, l’impérialisme américain, pour Wolfowitz, les régimes corrompus et despotiques du Moyen-Orient. » C’est-à-dire que si la droite et la gauche ne sont pas d’accord sur les causes et les remèdes, elles négligent toutes les deux le fanatisme inhérent à l’Islam lui-même.

Suivant leur foi aveugle en la raison, ils interprètent le problème d’une façon qui leur est familière, pour trouver une solution qui colle avec leur doctrine de raison. Il en va de même pour des intellectuels proéminents tels que Samuel Huntington et Francis Fukuyama. Harris ne considère pas le fanatisme Islamique comme un déviance ou une folie qui affecte quelques Musulmans et en terrifie beaucoup. Il soutient plutôt que le fanatisme est le principe fondamental de l’Islam. « Les Musulmans sont, dès le premier âge, endoctrinés dans un code de honte qui demande un refus fanatique de tout ce qui menace de déstabiliser la suprématie de l’Islam, » écrit-il. Pendant les années durant lesquelles ce code de honte est inculqué aux enfants, le sens du collectif est mis en exergue au-dessus de l’individu et de ses libertés. Un bon Musulman doit renoncer à tout : ses biens, sa famille, ses enfants, même sa vie pour l’Islam. On apprend aux garçons en particulier à dominer et être implacable, ce qui a l’effet de créer une société de guerriers saints.

Par contraste, l’Occident a cultivé une philosophie d’individualisme, de raison et de tolérance et un système compliqué dans lequel chaque acteur, de l’individu à l’État nation, cherche à résoudre les conflits par les mots. Le système entier est construit sur l’idée de l’intérêt personnel. Cette philosophie rejette le fanatisme. Le mâle alpha est apaisé et élevé pour faire de dures études, trouver un bon emploi et planifier prudemment sa retraite : « pendant que nous en Amérique nous droguons nos garçons alpha avec de la Ritalin, » écrit Harris, « les Musulmans font tout pour encourager leurs garçons alpha à être résistants, agressifs et sans pitié. »

L’Occident a essayé de différentes manières de convertir, assimiler et séduire des Musulmans vers la modernité, mais, nous dit Harris, aucune de ces approches n’a réussi. Pendant ce temps, notre vénération pour la raison fait de nous des proies faciles pour un prédateur sans pitié, malhonnête et extrêmement agressif et contribue peut-être à un lent « suicide » culturel. Le livre de Harris est si intéressant qu’il est difficile de le poser et ses évaluations inquiétantes risquent d’empêcher le lecteur de dormir la nuit. Il a le mérite de soulever des questions sérieuses. Mais ses arguments ne sont pas entièrement solides.

Je ne suis pas d’accord, par exemple, que la façon de sauver la civilisation Occidentale de sa trajectoire de suicide est de remettre en question sa tradition de raison. En effet, malgré sa compréhension de l’augmentation du fanatisme en général et de sa manifestation Islamique en particulier, l’utilisation par Harris du terme « raison » est défectueuse.

Les Lumières, préoccupées autant par la liberté individuelle que par la nécessité d’un gouvernement laïc et limité, ont soutenu que la raison humaine est faillible. Ils ont compris que la raison est plus qu’une pensée juste rationnelle ; c’est aussi un processus d’essai et d’erreur, la capacité d’apprendre à partir des fautes passées. On ne peut pas complètement apprécier les Lumières sans avoir fortement conscience de la fragilité de la raison humaine. C’est pourquoi les concepts comme le doute et la réflexion sont centraux à n’importe quelle forme de prise de décision basée sur la raison.

Harris est pessimiste d’une façon que les penseurs des Lumieres ne l’étaient pas. Il a une vue darwinienne de la lutte entre les cultures qui s’affrontent, critiquant l’Occident pour une philosophie d’égoïsme et il suit Hegel en affirmant que quand l’intérêt de l’individu heurte celui de l’état, c’est l’état qui devrait prédominer. C’est pourquoi il attribue une telle force au fanatisme Islamique. La collectivité de l’umma met l’intérêt commun au-dessus de celui du croyant individuel. Chaque Musulman est un esclave, d’abord de Dieu, ensuite du califat. Bien que Harris n’approuve pas cette subversion extrême du moi, on sent une pointe d’admiration dans ses descriptions de la solidarité féroce de l’Islam, son adhérence à la tradition et la volonté des Musulmans de se sacrifier pour le plus grand bien.

En plus, Harris loue l’exceptionnalisme américain et Hegel comme s’il n’y avait aucune contradiction entre les deux. Mais ce qui rend l’Amérique unique, surtout par contraste avec l’Europe, est sa résistance à la philosophie de Hegel et son concept d’un esprit mondial unifiant. C’est l’individu qui importe le plus aux États-Unis. Et plus généralement, ce sont les individus qui font les cultures et qui les cassent. L’évolution sociale et culturelle a toujours compté sur les individus — pour réformer, persuader, cajoler ou forcer. La culture est formée selon l’accord collectif d’individus. En même temps, il est essentiel que nous ne tombions pas dans le piège qui supposerait que la tactique de survie d’individus vivant dans les sociétés tribales — comme le mensonge, l’hypocrisie, le secret, la violence, l’intimidation, et cetera — est dans l’intérêt de l’individu moderne ou de sa culture.

Je ne suis pas née en Occident. J’ai été élevée avec le code de l’Islam et dès la naissance j’ai été endoctrinée dans un façon de penser tribale. Pourtant j’ai changé, j’ai adopté les valeurs des Lumières et par conséquent je dois vivre en rejetant mon clan natal aussi bien que la tribu Islamique. Pourquoi l’ai-je fait ? Parce que dans une société tribale, la vie est cruelle et terrible. Et je ne suis pas seule. Les musulmans ont émigré en Occident en masse depuis des décennies maintenant. Ils sont à la recherche d’une meilleure vie. Pourtant leurs contraintes tribales et culturelles ont émigré avec eux. Et le multiculturalisme et le relativisme moral qui règnent en Occident s’en sont accommodés.

Harris est correct, je crois, quand il dit que beaucoup de dirigeants occidentaux ont de gros problèmes de compréhension au sujet du monde Islamique. Ils sont déplorablement mal informés et n’ont souvent pas la volonté d’affronter la nature tribale de l’Islam. Le problème n’est pourtant pas trop de raison, mais trop peu. Harris manque aussi d’adresser les ennemis de la raison en Occident : la religion et le mouvement Romantique. C’est par refus de la religion que les Lumières ont émergé ; le Romantisme était une révolte contre la raison.

Le mouvement Romantique et la religion organisée ont tous les deux contribués beaucoup aux arts et à la spiritualité de l’esprit Occidental, mais ils partagent une hostilité à la modernité. Le relativisme moral et culturel (et leur manifestation populaire, le multiculturalisme) sont les caractéristiques des Romantiques. Soutenir que la raison est la mère du désordre actuel dans lequel l’Ouest se trouve, c’est rater l’impact important que ce mouvement a eu, d’abord en Occident et peut-être encore plus profondément en dehors de l’Occident, particulièrement dans les pays Musulmans.

Ainsi, ce n’est pas la raison qui s’accommode et encourage la persistance de la ségrégation et du tribalisme dans les populations Musulmanes immigrées en Occident. C’est le Romantisme. Le multiculturalisme et le relativisme moral promeuvent une idéalisation de la vie de tribu et se sont montrés imperméables à la critique empirique. Les reproches que je fais aux dirigeants occidentaux sont différents de ceux de Harris. Je les vois gaspiller une belle opportunité de rivaliser avec les agents de l’Islam radical pour les esprits des Musulmans, surtout ceux qui vivent dans leurs frontières. Mais pour saisir cette opportunité, ils doivent permettre à la raison de prédominer sur le sentiment.

Arguer, comme Harris semble le faire, que les enfants, nés et élevés dans des cultures superstitieuses qui prisent le fanatisme et créent des phalanges de mâles alpha, sont condamnés — et condamnent les autres — à une existence gouvernée par la loi de la jungle, c’est ignorer les leçons du passé propre à l’Occident. Il y a eu des périodes où l’Occident était moins que noble, quand il s’est livré aux croisades, à l’Inquisition, quand il brûlait les sorcières et faisait des génocides. Beaucoup d’Occidentaux qui étaient nés dans la loi de la jungle, avec ses mâles alpha et femmes soumises, ont depuis découvert la culture de la Raison et l’ont adoptée. Ils sont même — et cela devrait sûrement soulager Harris d’un peu de son pessimisme — disposés à mourir pour cela, peut-être même avec le même fanatisme que les jihadists prêts à mourir pour leur tribu. Bref, bien que ce conflit soit incontestablement une lutte mortelle entre cultures, ce sont les individus qui en détermineront le résultat.

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